Rap

la fin du monde est proche… encore

Busta Rhymes parle de la fin de monde depuis 1996. Le rappeur de Brooklyn a consacré ses trois premiers albums – dont Extinction Level Event : The Final World Front, en 1998 – au sujet.

Autrefois très prolifique, il vient de lancer Extinction Level Event 2 : The Wrath of God, après une absence en solo de huit ans. Les craintes de l’apocalypse de 2000 se sont avérées infondées, mais disons que 2020 donne de bonnes raisons de revisiter la thématique.

Pour son grand retour, Trevor George Smith Jr. s’est entouré de vétérans respectés et de certains des artistes les plus prodigieux des dernières années. Ainsi, il partage le micro avec Rakim, Kendrick Lamar, Q-Tip, Anderson.Paak, Mary J. Blige, Rapsody et bien d’autres.

Malgré l’abondance d’invités de talent, Busta n’est jamais éclipsé par ceux-ci. Même après 30 ans de carrière, l’énergie de Bus-a-Bus reste contagieuse et captivante. Son arsenal de flows et d’intonations est parmi les plus vastes de la confrérie du hip-hop. On le sait capable de mitrailler des rimes à une vitesse exceptionnelle, mais il ne sent plus le besoin d’épater la galerie à chaque occasion. C’est tant mieux pour nous, car notre Busta Rhymes préféré est celui plus posé de Don’t Go.

Ce nouvel album est une réussite aussi en raison de la grande qualité des beats. Busta a fait appel à des maîtres tels Swizz Beatz, DJ Premier, Rockwilder, 9th Wonder et Nottz pour dicter le rythme. Ce dernier a davantage contribué à l’album et a frappé un coup de circuit avec son utilisation d’I’ll Be There des Jackson 5 sur Look Over Your Shoulder.

À 48 ans, on pourrait dire que Busta Rhymes est au sommet de son art. ELE2 est sûrement son album avec la plus grande cohésion, autant en ce qui a trait à l’ambiance qu’aux thèmes. Toutefois, certains morceaux plus pop détonnent un peu (YUUU, Where I Belong et The Don & The Boss), et malgré une plus grande maturité, Busta reste en surface lorsqu’il parle d’enjeux sérieux comme la justice sociale ou la brutalité policière.

En entrevue, il a précisé qu’il a travaillé plus de 11 ans sur ce projet et enregistré des centaines de chansons. On peut comprendre que la sélection a dû être difficile, mais 22 morceaux, c’est beaucoup. Et à la fin, on est vraiment tanné des interventions de Chris Rock.

Électropop

comme neige au soleil

Le duo montréalais Secret Sun avait fait forte impression il y a six ans avec son premier album Cold Coast. Une longue tournée et deux enfants plus tard, Simon Landry (musiques et guitare) et Anne-Marie Campbell (textes et voix) sont de retour avec leur pop alternative élégante et intemporelle, et proposent 10 chansons « rêveuses » électros qui dégagent parfois d’agréables accents de trip hop, comme dans la chanson-titre, Winter Love.

Toujours avec Sébastien Blais-Montpetit à la réalisation et François Lafontaine aux claviers, Secret Sun nous entraîne dans un univers amoureux et cinématographique – on pourrait être dans une banlieue des années 50 en Californie (Oiseau de malheur) ou dans un film américain des années 80 (It Girl).

Avec sa voix particulièrement profonde, Anne-Marie Campbell nous parle de l’amour qui passe et qui dure, de souvenirs d’adolescence et de moments parfaits, et c’est certainement grâce à ses riches inflexions vocales que l’album procure une telle charge, que ce soit dans la mélancolie (Birthday Letter) ou la joie (excellente Little Pieces).

Mais à l’image du titre Winter Love, il se dégage pourtant une certaine froideur de l’ensemble, bien fait et doucement planant avec ses nombreuses strates de guitare et de claviers, mais aussi brillant comme la neige au soleil.

une élégance frisquette

Originaire de Norvège et installée en Suède, Ane Brun développe depuis près de deux décennies une pop indie basée sur le folk, mais tentée par l’expérimentation. After the Great Storm sonne comme son titre le laisse entendre : c’est une accalmie, un album de chansons aériennes et douces, aux rythmes assez posés.

Honey, morceau qui ouvre le disque, donne le ton : c’est une espèce de trip hop à tendance chill out sur lequel la chanteuse aux racines samies, peuple autochtone du nord de la Scandinavie, pose son chant haut perché. Sa voix sinueuse évoque celle de Beth Gibbons, de Portishead, l’humeur cafardeuse en moins. On pense aussi à Liz Fraser, de Cocteau Twins (sur Don’t Run And Hide, notamment).

Ane Brun adopte ici une approche assez minimaliste. Ses chansons sont finement arrangées, avec des touches subtiles de claviers ou de cordes, mais sans jamais voler la vedette à sa voix, qui demeure au centre de tout. Il y a à la fois quelque chose d’éthéré et de très contrôlé dans After the Great Storm. Beaucoup de pulsions retenues, aussi.

Et c’est ce qui finit par lasser. Ce souci de tout maîtriser donne finalement des chansons assez froides, bien que le propos soit intime et réflexif. Il y a bien des moments plus touchants (Feeling Like I Wanna Cry, sertie de percussions aux reflets métalliques) et bien des morceaux qui dégagent une lumière mystérieuse et inusitée. Rien par contre qui fasse fondre le frimas qui se pose sur cette quête de perfection.

Ane Brun publie un autre album à la fin du mois : How Beauty Holds the Hand of Sorrow. Peut-être s’y montrera-t-elle sous un autre visage.

Pop

couci-couça

Louane a créé un beau contraste en nommant son album Joie de vivre tout en y insufflant une persistante mélancolie découlant d’une profonde introspection. Sur ce troisième album à la production soignée, la chanteuse explore ses états d’âme en naviguant sur des sonorités pop éclectiques.

« J’ai peur d’être moi, d’être seule dans le noir », chante Louane dès la première chanson, Songes. Elle s’adresse ici directement à son public, lui avoue ses peurs, dont celle de ne pas être à la hauteur. Elle lance à la toute fin une invitation à entrer dans « son monde de frissons », sa « cage de questions ». Ainsi, la Française de 24 ans propose un album où elle se dévoile plus que jamais. Elle raconte ses craintes amoureuses, ses insécurités, son parcours, chargé et émotif, depuis ses débuts en 2016.

Joie de vivre est d’ailleurs le nom d’un club de plage pour enfants dans le nord de la France, d’où elle est originaire (on peut voir l’endroit sur la pochette de l’album). Louane a grandi dans l’œil du public, propulsée dans une carrière en musique, avec les hauts et les bas que cela suppose. Sur Joie de vivre, elle regarde en arrière et expose ses réflexions sur ses souvenirs d’enfance.

La (jolie) voix de la chanteuse est toujours en avant-plan. Ainsi, on ne peut passer à côté des paroles. Les productions sont toutefois le grand point fort de l’album. Le travail instrumental est impeccable sur ce disque où les faiblesses résident plutôt dans certains textes un peu trop clichés et dans une exploration des genres qui n’a pas toujours l’air naturelle.

Des airs hip-hop, latins, orientaux (Toute ma vie, le seul duo, avec Soolking) et même une tentative un peu trap (3919) se mélangent et se diluent dans la pop dansante, inspirée des années 90 (et également clairement inspirée dans certains cas de la dernière parution de la Britannique Dua Lipa). Le premier extrait dévoilé par Louane, Donne-moi ton cœur, que le rappeur belge Damso a écrit et composé, est une bonne porte d’entrée vers l’exploration pop dansante qui persiste sur une bonne partie de l’album.

Là où Louane fait le mieux, c’est lorsqu’elle chante des ballades, lorsque le piano domine la trame musicale. En milieu d’album, on laisse un peu aller le filon pop et interviennent alors les très belles et plus épurées J’peux pas, Love ou encore Sans ta voix. Le piano-voix est la formule qui sied le mieux à Louane, où on la sent la plus solide. Les pièces Aimer à mort et À l’autre sont aussi très réussies dans ce registre.

En fin de compte, l’hybridité rend service à Louane, qui touche à beaucoup de genres et fait globalement bien, même si certaines tentatives sonnent un peu faux, forcées. Joie de vivre saura certainement rejoindre le public qu’il brigue.

Électro

prose combat

« Nous travaillons pour la marge », annonce le duo La Fièvre dans l’introduction à son album homonyme. On est loin de la pop consensuelle à la Lara Fabian, en effet. Ma-Au Leclerc et Zéa Beaulieu-April ne cherchent absolument pas à plaire, encore moins à ne pas faire de vagues. Et ça s’entend.

Le plan de match de ces deux créatrices, qui ont atteint la demi-finale des Francouvertes en octobre, c’est de brasser la cage. De faire éclater le silence. Et pour ça, elles balancent leurs textes avec aplomb, en les criant presque parfois, sur des musiques électros rudimentaires assez sombres, qui mordent l’oreille plus qu’elles ne la caressent.

L’art de La Fièvre se fond dans son militantisme féministe. C’est une espèce de cri de ralliement, d’invitation à défoncer les portes, à garder la tête haute et à s’ouvrir la trappe (Survivantes). Et tant pis pour les bonnes manières. « L’objectif n’a jamais été l’approbation », disent-elles dans Faudra faire mieux.

Il y a dans ces quelques chansons un authentique feu. Un désir d’inciter chacune à s’affirmer à sa manière, une envie de motiver les troupes (« C’est toi la bête la plus dangereuse de la forêt », clament-elles dans Goddess, qui compte sur la participation de Backxwash, lauréate récemment du prix Polaris).

Ce genre de prose-combat happe et ne manquera pas de faire des adeptes. La Fièvre a toutefois les défauts de ses qualités : en faisant reposer l’essentiel de ses chansons sur ces textes bruts, le duo en oublie ses musiques qui, sauf exception, manquent d’étoffe et de mélodies fortes pour mieux porter le propos. C’est un deuxième disque, mais ce n’est peut-être qu’un début…

Classique

plus que du solfège

La soprano québécoise Hélène Brunet s’est offert un beau disque de style « carte de visite » chez ATMA Classique avec son album Solfeggio.

Le répertoire, judicieusement équilibré, va de Vivaldi a Mozart, avec des tubes comme l’aria Schafe können sicher weiden de Bach ou l’Alleluja de l’Exultate jubilate de Mozart, mais également des raretés de Leonardo Vinci ou de Mozart (un solfège composé pour Constance Weber… d’où le titre de l’album). La chanteuse, qui poursuit une carrière sur la scène baroque nord-américaine, en est à son troisième projet discographique avec le chef et claveciniste Eric Milnes, ici avec son ensemble L’Harmonie des saisons.

Enregistré en février dernier, le disque a été réalisé avec une prise de son très détaillée. Si certains préféreront une sonorité plus aérée, ce style de captation permet néanmoins d’apprécier pleinement le travail exemplaire de musiciens comme le hautboïste Matthew Jennejohn (dans une aria de la Cantate no 74 de Bach) ou le flûtiste Grégoire Jeay (dans l’air Ich habe genug du même compositeur).

Le talent d’Hélène Brunet est indéniable. Sa voix de soprano léger est égale sur tout le registre, souple et d’une grande aisance dans les vocalises. Le contre-do à la fin de l’Exultate jubilate est réalisé sans l’ombre d’une difficulté. La chanteuse fait en outre preuve, tout au long, d’une remarquable intelligence musicale (notamment dans les subtiles ornementations des airs à da capo) et dramatique, habitant chaque mot, chaque phrase.

Nous avons cependant quelques réserves par rapport à l’accompagnement orchestral. Il va sans dire que le chef Eric Milnes a effectué un travail méticuleux, mais plus de fougue aurait été de mise. Avec son approche souriante, Milnes est un peu l’anti-Giardino Armonico, cet ensemble italien aux interprétations tranchantes et électrisées. L’accompagnement de l’air Armatae face, tiré de l’oratorio Juditha Triomphans de Vivaldi, manque ainsi singulièrement de testostérone et d’un vrai sens du dialogue entre les voix. L’air Nulla pax in mundo sincero, également de Vivaldi, est tellement alangui qu’il dure une minute de plus que la moyenne de la discographie.

Malgré tout, nous avons ici une réalisation vocale de premier ordre mettant en valeur un talent québécois méconnu.

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